Médecine complémentaire

Agroalimentaire La Nécessaire relance de l’Innovation

La lutte contre l’obésité, oui, l’innovation non ! Qu’on en juge : moins de deux Français sur dix souhaitent que les industriels de l’alimentaire fassent de l’innovation une priorité.

C’est ce que révèle l’étude de TNS Sofres, commandée par l’Association nationale des industries agroalimentaires (Ania). Elle sera rendue publique aux « Assises de l’alimentaire », la grand-messe de la profession organisée à Paris par l’Ania, en octobre. Et dont l’un des thèmes fort sera celui de la relance de l’innovation. Ce constat, alarmant, est en phase avec le peu d’attention que les consommateurs portent à l’innovation sur les points de vente. Selon AC Nielsen, près de 80 % des 2 000 à 3 000 produits lancés chaque année sortent très vite des rayons. Le plus souvent, le consommateur passe à côté de la nouveauté sans la voir. Simplement parce les « innovations » tiennent plus de la rénovation que de l’invention. On est loin des grands lancements marquants, comme Actimel de Danone en 1997

Ou encore Proactiv d’Unilever en 2000... « La recherche de produits de rupture ne mobilise que 5 à 10 % des ressources totales de R&D; », soutient Éric Janvier, de Numsight.

C’est très peu dans un budget, luimême très faible (de l’ordre de 0,5 % du chiffre d’affaires). Pour Didier Majou, le directeur général de l’Association de coordination technique pour l’industrie agroalimentaire (Actia) - elle fédère les centres techniques comme ceux de la viande, du lait ou des biscuits - il faudrait plus que doubler ce taux, à 2 %, pour pérenniser l’industrie française dans les quinze à vingt ans à venir.

C’est en juin que la Confédération des industries agroalimentaires de l’ Union européenne (CIAA) a tiré la sonnette d’alarme. Face aux Étatsunis et au Japon qui soutiennent de façon plus active la recherche, ou encore à la Chine et l’Inde, de plus en plus compétitives, l’industrie agroalimentaire européenne faiblit.

La distribution est montrée du doigt. « Il y a une dizaine d’années, les enseignes laissaient trois ans à un produit pour s’installer, contre trois mois aujourd’hui », explique Francis Berthet, le directeur marketing de Sirop Monin. En 2001, cette PME de 45 millions d’euros de chiffre d’affaires lance Petit Monin, un sirop pour enfant conditionné dans une bouteille en PET dotée d’une paille. Ce lancement, fruit de trois ans de travaux, a coûté 600 000 euros. « Le produit est resté six mois en rayon », déplore Olivier Monin, le P-DG. Difficile alors d’inciter les industriels à dépenser plus pour le développement d’un produit, sans assurance sur son devenir. Au risque même de ne jamais le voir référencer.

Par manque de place en linéaire, les Carrefour, Auchan... et autres Leclerc ne prennent plus le risque d’immobiliser de l’espace pour des produits aux résultats commerciaux incertains. « 10 % des références changent chaque année, précise Éric Janvier. Pour rester présent, l’industriel doit aller vite. Il n’a pas d’autre choix que de privilégier la rénovation », au détriment de l’innovation. Et l’allocation de ses moyens financiers au développement produit plutôt qu’à la recherche à plus long terme. « Si l’on ajoute à cela le coût exponentiel des efforts de qualité et de traçabilité des dix dernières années, la baisse des budgets disponibles est réelle », soutient Yves Bayon de Noyer, le P-DG d’Agis, une entreprise de plats cuisinés. C’est donc toujours en amont - chez les fournisseurs - que se développent les grandes innovations. Selon l’étude TNS

Sofres, les industriels avouent puiser leurs idées à 70 % dans les ingrédients et à 58 % dans l’emballage. C’était déjà le cas il y a dix ans !

À chacun son rythme

Il faut, aujourd’hui, aborder l’innovation différemment. « Chaque entreprise doit trouver son rythme, soutient Brice Auckenthaler, directeur associé du cabinet Experts Consulting. Ce n’est pas parce que son concurrent lance dix produits par an, qu’il faut surenchérir. » Ferrero en est la preuve. Malgré une concurrence féroce, le confiseur italien sort ses nouvelles douceurs au comptegouttes. Et ça lui réussit. Plutôt que de se disperser, il mise toutes ses ressources sur un seul produit de rupture, développé en interne. Après l’ avoir mis au point, en le protégeant par un grand nombre de brevets.

Ferrero le teste pendant trois ans dans un pays et juge alors de la pertinence de l’innovation. C’est après cette étape que l’entreprise familiale le lance partout dans le monde. Autre taille, autre politique. Nestlé, lui, qui consacre 1, 6 % de son chiffre d’affaires à la R&D; - 3 fois la moyenne française ! -, a choisi une recherche à deux vitesses. En France, Jean-Paul Manet, responsable innovationrénovation, gère la R&D; à trois ans et Philippe Morier, responsable du développement, prend le relais sur le long terme. « Pour avancer, nous essayons de résoudre des contradictions, des paradoxes ou des associations pour améliorer la vie du consommateur », explique le premier.

Illustration de cette politique : les « Hot Pockets », lancés cette année, ces snacks surgelés qui restent croustillants après leur passage au microondes grâce à l’alliance de la formulation et d’un packaging nouveau d’un point de vue technologique. Pendant ce temps, Philippe Morier s’occupe du futur. « Nous planchons beaucoup sur l’obésité et la santé, soutient-il. Nous avons travaillé avec l’université de Nottingham sur le sel et découvert que le degré de viscosité d’un produit rendait sa teneur en sel plus ou moins perceptible au goût. » Ces études ciblées permettront d’imaginer des produits pouvant, répondre, demain, à la nouvelle donne nutritionnelle. Mais le géant suisse a les moyens de ses ambitions avec un budget total de 1 milliard d’euros. Son centre mondial de recherche, en Suisse, a signé une centaine d’accords avec des partenaires externes, dont 40 % avec des instituts publics (Inra, Inserm, universités...), 30 % avec des hôpitaux universitaires et le reste avec des laboratoires de recherche privés.

Ajoutez à cela les 3 500 chercheurs en interne, et la facture s’envole : « Un chercheur coûte 150 000 euros à une entreprise et un projet d’innovation de rupture au moins 1 million d’euros », affirme Éric Janvier.

Les pme jouent « décalé »

Ces moyens, une PME ne les a pas. Celles qui réussissent le pari de l’innovation ont souvent choisi une stratégie décalée. En France, Hero, bien que filiale d’un grand groupe suisseallemand, fait figure de petite entreprise avec son chiffre d’affaires de75 millions d’euros. Elle est surtout la seule dans le groupe à s’être spécialisée sur les compotes, un produit plutôt français, et s’occupe donc de ses propres développements. « En tant que PME, nous devons exploiter les niches de marché, tout en nous assurant de la pérennité du produit », explique Fabien Gandolphe, le directeur marketing. Il y a cinq ans, l’entreprise lance des compotes sans sucre ajouté, ce qui a nécessité un gros travail sur la formulation. À cette époque, les leaders, Andros et Materne, n’ont que faire de ce petit segment. Ils s’y intéressent seulement deux ans après, ce qui a permis à Hero de s’imposer comme le spécialiste incontesté du créneau. Aujourd’hui, la marque occupe 17 % du marché (en valeur) sur le rayon frais des compotes !

Preuve que l’innovation peut être payante. Et demain ? Pour que le plus grand nombre d’industriels se sentent impliqués « il faudra trouver une solution à la fragmentation actuelle de la recherche », lance Didier Majou, de l’Actia. Avec 70 % de PME de moins de 20 salariés, le tissu industriel est éclaté et les efforts de R&D; trop dispersés. Une meilleure coordination entre entreprises et centres de recherche publics sera nécessaire. Les 13 pôles de compétitivité ont déjà réussi à fédérer PME, grands groupes et institutions publiques autour des grands sujets de demain : obésité, nutrition, traçabilité... Au niveau européen, la donne n’est pas différente. Seulement 14 % des entreprises reçoivent des subventions pour innover. Bruxelles a, du coup, mandaté la CIAA sur une grande plateforme technologique, « Food for Life », en juillet 2005.

Ce sera le lieu d’élaboration d’ une vision prospective et stratégique. En France, les 40 centres techniques de l’Actia prendront le relais de l’information. « C’est la première fois que tous les acteurs du secteur se mobilisent ensemble », se réjouit Didier Majou. Un grand chantier pour la prochaine décennie.

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