Médecine complémentaire

Des microlaboratoires d’analyse sur disque compact

« 0ù en est l’analyse numérotant ? » « Ça tourne ! », répond le laborantin. L’idée paraît curieuse de prime abord : graver un microlaboratoire d’analyse sur un disque compact ! Tecan, une société suisse spécialisée dans les automates d’analyse pour la biologie et la chimie, achève la mise au point d’un système basé sur ce principe, qu’elle a baptisé LabCD, et elle compte livrer quelques clients tests d’ici à la fin de l’année. La société a acquis la technologie il y a un an environ, en achetant pour 10 millions de dollars une start-up américaine, Gamera Biosciences. Et deux autres sociétés travaillent sur des produits similaires : Gyros Microlabs en Suède et Burstein Technologies en Californie.

Une extrême miniaturisation

Dans ces microlaboratoires, tous les modules nécessaires à la réalisation d’un processus chimique ou biologique sont réunis : réacteurs, réservoirs de produits, conduits, colonne de séparation, vannes... sont gravés sur un support de verre, de silicium ou de plastique de quelques centimètres carrés seulement. Les réacteurs font quelques nanolitres de volume, les canalisations, quelques microns de diamètre, les colonnes de chromatographie, quelques millimètres de longueur !

Cette miniaturisation a plusieurs effets : les réactions, mettant en oeuvre des microvolumes, sont plus rapides, consomment des quantités infimes de réactifs et génèrent aussi peu de déchets ; effets d’autant plus intéressants que l’on travaille avec des échantillons peu abondants et des réactifs coûteux, comme c’est le cas en biologie. De plus, il est possible de réaliser des analyses en parallèle en multipliant le nombre de microlaboratoires sur le même support.

Ainsi, le premier disque de Tecan permettra d’effectuer essais biologiques en même temps. Mais pourquoi un disque ? En effet, de nombreuses sociétés aux États-Unis et en Europe développent des microlaboratoires, mais ceux-ci sont toujours gravés sur des supports fixes, d’où le nom qu’on leur donne souvent : « labopuce » ou « lab on a chip ».

L’explication est dans le moyen utilisé pour faire circuler les fluides dans les fines canalisations du laboratoire. Alors que les labopuces utilisent le phénomène d’électrocinétique, qui se manifeste par la mise en mouvement d’un liquide confiné dans un très petit espace sous l’action d’un champ électrique, le laboratoire sur disque fait appel tout simplement à la force centrifuge, le LabCD de Tecan comporte ainsi 48 « cuvettes de réaction » disposées à la périphérie du disque, chacune étant reliée par des conduits à deux orifices de chargement, pour les réactifs et les échantillons à analyser, regroupés au centre du disque. Après chargement par un robot pipetteur, la mise en rotation du disque provoque le transfert des liquides vers la cuvette, où la réaction d’analyse peut avoir lieu. Le résultat est lu ensuite par une méthode optique par fluorescence.

Plusieurs échantillons analysés en simultané

Chaque essai consomme de 10 à 20 microlitres de réactifs seulement. « Mais, potentiellement, la miniaturisation peut être poussée jusqu’à quelques nanolitres », affirme Darwin Asa, chef de produit LabCD au plan mondial. Pour éviter que les fluides s’écoulent prématurément dans les petits canaux sous le simple effet de la capillarité, on a prévu des « vannes » de retenue. Ce sont des portions du circuit dont la surface a été rendue hydrophobe. Elles s’opposent au passage du liquide et ne se débloquent qu’à partir d’une certaine vitesse de rotation du disque.

Pour lancer son premier LabCD, Tecan a choisi une série de tests biologiques dits ADME-tox (Absorption, Distribution, Metabolism, Excretion, Toxicity). Ces tests sur cellules vivantes sont utilisés par tous les laboratoires pharmaceutiques pour évaluer les propriétés pharmacologiques d’un médicament, indépendamment de son efficacité thérapeutique. Mais « ils sont très longs et constituent un goulet d’étranglement, alors même que les autres étapes du développement d’un nouveau médicament adoptent des technologies à haut débit », explique Darwin Asa.

Le disque et son système de mise en rotation sera intégré dans la plate-forme technologique de Tecan : robot pipetteur, lecteurs optiques par fluorescence, luminescence, absorption...

« Notre premier laboratoire sur disque est encore très simple dans la conception de ses circuits », admet-on chez Tecan. Il est possible en effet de faire des choses plus compliquées en modulant la vitesse de rotation de façon à activer des vannes hydrophobes en séquence afin d’enchaîner des opérations successives. Par exemple, les spécialistes de Gamera Biosciences avant son rachat par Tecan - ont développé un disque réalisant successivement l’extraction de l’ADN d’un échantillon biologique, son amplification par PCR (avec un module à effet Peltier pour faire des cycles thermiques) et son identification. Un LabCD pourrait ainsi servir à identifier en simultané de multiples pathogènes dans des prélèvements sanguins. Tecan pense aussi étudier une protéomique. application Un pour domaine la où les technologies à grand débit font encore défaut.

Un support économique et à usage unique

Le « disque laboratoire » est un produit consommable à usage unique. Moulé par injection dans du plastique, polycarbonate ou PMMA, comme un CD audio, il sera préchargé en certains réactifs selon les applications. Ce sera le cas, par exemple, du premier LabCD. Le coût de production du disque ne devrait pas être très élevé au regard du coût de développement. « Nous adapterons le produit aux besoins des clients, que se soit des sociétés de diagnostic ou des laboratoires de recherche, mais nous envisageons de développer des produits plus standards », précise-t-on chez Tecan.

Mais la concurrence talonne la société suisse. Gyros Microlabs, à Uppsala (Suède), annonce son premier disque pour le début de 2002. « Il sera destiné à la préparation d’échantillons pour l’analyse des protéines par spectrométrie de masse Maldi-Tof et réalisera quatre opérations successives sur 96 échantillons simultanément », affirme Sue Cresswell, porte-parole de l’entreprise. Le disque sera conçu de façon à pouvoir s’interfacer avec les principaux spectromètres du marché. Gyros Mcrolabs a par ailleurs signé un contrat pour coupler sa technologie avec celle d’Affibody, une autre société suédoise spécialisée dans les protéines de capture. Objectif : la mise au point d’un disque incorporant des « puces » à protéines pour la protéomique.

Implantée à Irvine, en Californie, Burstein Technologies compte lancer son Bio Compact Disk dans un an ou deux. La société vise le marché des tests biologiques classiques les plus répandus : tests immunologiques, détermination de groupe sanguin, analyse du glucose dans le sang, etc. C’est pourquoi elle cherche à utiliser les équipements pour CD et DVD existants et peu coûteux, platines et lecteurs laser, en les adaptant.

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